#7 | Une annonce sans précédent, une enquête au Musée de l'Homme et des restitutions joyeuses
Héritage colonial et décolonisation des musées, en France et dans le monde
Au sommaire de ce numéro, les Pays-Bas annoncent des excuses aux populations anciennement colonisées et un ambitieux plan de réparations, une enquête sur les crânes conservés au Musée de l’Homme, la Wellcome Collection ferme une galerie pour actualiser son propos, et d’autres informations.
Actualités
Pays-Bas. Notez la date du 19 décembre prochain : le premier ministre néerlandais Mark Rutte prendra la parole pour formuler des excuses officielles auprès des populations anciennement colonisées (annoncées en début d’année), et présenter un ambitieux plan de réparations. Selon les informations du Guardian, celui-ci devrait comprendre un fonds de 200 millions d’euros destiné à financer des actions pour améliorer la transmission du passé colonial et esclavagiste des Pays-Bas, et la création d’un musée de l’esclavage doté d’un budget de 27 millions d’euros. La Fondation pour la mémoire de l’esclavage en propose une synthèse très complète de ces annonces, inédites pour une ancienne puissance coloniale. Je reviendrai prochainement sur la politique néerlandaise en la matière, car j’ai eu l’occasion de passer quelques jours à Amsterdam, où j’ai interviewé un conservateur du Tropen Museum à propos du redéploiement de leurs collections.
Restes humains. Après un long article sur la restitution par la France de 24 crânes à l’Algérie (voir LBDC #5), Constant Méheut, correspondant du New York Times en France, élargit son enquête aux 18 000 crânes répertoriés dans les réserves du Musée de l’Homme, à Paris. On y apprend qu’il s’agit de la plus importante collection de crânes humains au monde, qui comprend des restes appartenant à des populations issues d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, et principalement liées aux conquêtes coloniales. Sur la scène internationale, la France semble à la traîne en matière de restitutions des restes humains, quand plusieurs pays européens et de nombreuses institutions nord-américaines ont adopté des protocoles stricts. Ce n’est pas le cas du Musée de l’Homme qui va même jusqu’à retirer de sa base de données en ligne certaines informations dont elle dispose. L’article fait également état d’un rapport interne rédigé en 2018, jamais rendu public, qui recommandait une politique proactive mais qui n’a pas été suivi d’effets. Les demandes de restitution, formulées notamment par Madagascar, l’Argentine et des populations autochtones d’Hawaï, se heurtent à la loi française exigeant de démontrer une identification formelle, souvent difficile à établir pour des restes humains peu ou mal documentés.
Fermeture. Fin novembre, la Wellcome Collection a choisi de fermer sa galerie Medicine Man, l’un des quatre espaces accessibles gratuitement dans ce musée de sciences londonien, consacré à la collection d’Henry Wellcome autour de la santé humaine. Dans un bref communiqué et un long fil de tweets (voir ci-dessus), l’institution précise que la galerie, ouverte en 2007, nécessitait une actualisation de sa narration, qui ne soit pas construite à travers le prisme de son seul fondateur, “un homme riche, puissant et privilégié”. Le propos de Medicine Man versait dans l’exotisation et l’exploitation des populations noires, autochtones et des personnes en situation de handicap. Les collections seront prochainement redéployées à travers un nouvel accrochage.
Restitutions. L’historienne de l’art Bénédicte Savoy a accordé un entretien à La Croix, dans lequel elle revient notamment sur son rôle dans le retour au Bénin des 26 pièces rendues par le musée du quai Branly (voir LBDC #4). Consciente que son travail alimente la réflexion dans les études postcoloniales sans pour autant se rattacher à cette tradition, elle rappelle qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une “manière d’écrire l’histoire qui donne la parole à d’autres points de vue que ceux des anciens colonisateurs.” Plutôt qu’une militante, Bénédicte Savoy se décrit comme une “factiviste”, s’appuyant sur des faits avérés, et plaide pour un décentrement du regard dans les musées.
“Ce qui a été pris dans une violence extrême, ce qui manque cruellement à ceux qui les réclament, il faut le rendre. Et j’ajoute : il faut le rendre dans la joie. Pas comme une punition, comme un retour en arrière, mais comme une manière de tisser une nouvelle éthique relationnelle avec les pays d’origine.” — Bénédicte Savoy, La Croix, 22 novembre 2022
Rencontres et conférences
Océanie. Vendredi 16 décembre, de 10h à midi, séance “Réappropriation patrimoniale : se représenter soi-même au musée” dans le cadre du séminaire “Patrimoines en représentations” 2022-2023, avec notamment Marion Bertin (Centre Norbert Elias/Avignon Université) qui travaille sur le patrimoine océanien.
Participation. Le séminaire UQÀM/GREM/École du Louvre a pour thème “Musées engagés, publics participatifs” pour l’année 2022-2023. Les séances de février et mars concernent les demandes de restitutions et le traffic de biens culturels. Plus d’informations à venir.
Passé. Pour mémoire, deux rencontres intéressantes ont eu lieu ces dernières semaines :
Mémoires des passés coloniaux : perspectives sur un phénomène global du temps présent les 6, 7 et 8 décembre à La contemporaine (Nanterre)
When publics co-produce history in museums: skills, methodologies and impact of participation le 7 décembre par le C²DH (Luxembourg)
Emplois et résidences
Amériques. Le musée du quai Branly - Jacques Chirac recrute une ingénieure ou un ingénieur d’études pour un contrat d’un an, dans le cadre du projet CRoyAN (voir LBDC #4) sur les collections royales de l’Amérique française collectées entre 165 et 1850. Prise de poste le 1er février 2023.
Résidence. L’Ocim met en place une résidence d’idéation, dont la première édition a pour thème les pratiques décoloniales. Ce dispositif n’est pas rémunéré mais bénéficie d’un accueil à l’Université de Bourgogne (à Dijon) où l’Ocim a ses locaux, d’une durée de 4 à 9 semaines à placer entre avril et juillet 2023. Date limite de candidature : 3 janvier 2023.
Et aussi
Londres. La galerie “London, Sugar & Slavery” du Museum of London met en place un groupe de réflexion pour conseiller son directeur. Ce “groupe d’ami⋅es extérieur⋅es” aura pour mission d’accompagner le musée sur le traitement de l’esclavage, de l’époque coloniale et de leurs héritages, en complément du groupe d’universitaires qui conseillent déjà l’établissement.
Caraïbes. À l’occasion de la sortie de “Wakanda Forever” de Ryan Cogler, suite de “Black Panther” sorti en 2018, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage a publié un fil de tweets sur la place d’Haïti dans le film.
Athènes. Le British Museum réfléchit à la possibilité de rendre à la Grèce les frises du Parthénon, que le pays réclame depuis un siècle (oui, vous avez bien lu). Mais le gouvernement britannique rappelle qu’en l’état actuel, la loi le lui interdit.
Genève. Le studio de podcasts suisse Chahut présente Décoloniser la ville, une série sonore en six épisodes déclinée à partir de l’étude “Temps, espaces et histoires : monuments et héritage raciste et colonial dans l’espace public genevois” des historiens Mohamed Mahmoud Ould Mohamedou et Davide Rodogno.
Bretagne. Krystel Gualdé, directrice scientifique du Musée d’histoire de Nantes, a reçu le prix du livre d’histoire en Bretagne pour le catalogue de l’exposition “L’abîme - Nantes dans la traite atlantique et l’esclavage colonial 1707-1830”.
C’est tout pour aujourd’hui ! Merci à Alexandre Curnier-Pregigodsky et aux autres personnes qui m’ont transmis des informations, que je les ai retenues ou non pour cette édition.
La botte de Champollion prend une courte pause pendant les fêtes. Rendez-vous le jeudi 5 janvier prochain, pour un entretien avec le commissaire de l’exposition “Black Indians de la Nouvelle-Orléans” au musée du quai Branly.
Sébastien Magro