#11 | Un ministre contesté, des bronzes racontés et trois post-docs proposés
Décolonisation, héritage colonial et esclavagiste des musées, en France et dans le monde
Au sommaire de ce numéro : les propos du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer sur l’histoire de l’esclavage ne passent pas, l’Université de Cambridge explique sa politique en matière de restitutions dans une vidéo, un article du New York Times qui interroge les pratiques des publics face aux collections dont l’origine est contesté, et bien d’autres actualités.
Actualités
Assemblée. Lors des questions au gouvernement le mardi 7 février, plusieurs députées et députés des Antilles, de la Guyane et de La Réunion, dont certains sont descendants d'esclaves, ont interpellé Gérald Darmanin suite à ses propos tenus le jeudi 2 février lors du colloque “Les Outre-mer aux avant-postes”, organisé par Le Point. Le ministre de l’Intérieur a maintenu ses propos, soulignant le rôle tenu par la République dans l’abolition de l’esclavage, selon lui majeur. Pour la députée de La Réunion Karine Lebon (GDR) : “Il amoindrit la réalité de l'esclave et il ment par omission. Il oublie que nos ancêtres ont arraché leur liberté. Il oublie toutes les révoltes d'esclaves. Il pense que ça s'est fait dans le calme et la quiétude, mais non, ça n'est pas le cas !” La Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, que je mentionne régulièrement ici pour la qualité de son travail, a publié une mise au point efficace et bienvenue.
Voyage. Dans la rubrique Travel du New York Times, la journaliste Charly Wilder s’interroge sur la responsabilité des publics lorsqu’ils choisissent de visiter des musées qui exposent des objets volés. Prenant pour point de départ la réouverture de l’aile Afrique du Humboldt Forum, l’article évoque l’évolution du regard des visiteuses et des visiteurs, et propose un inventaire de la situation, qui va des annonces récentes de restitutions faites par plusieurs pays d’Europe aux plans divers États américains pour l’identification et la restitution de biens acquis par les Nazis. Deux exemples sont plus précisément détaillés : le Leopold Museum de Vienne dont de nombreuses pièces auraient été volées par les Nazis et dont 90 % des collections n’auraient pas d’origine clairement établie ; et le British Museum de Londres, qui fait régulièrement l’actualité en raison de la désaccord opposant le Royaume-Uni et la Grèce sur les marbres du Parthénon (voir LBDC n°9). L’article se referme sur la lueur d’espoir incarnée par l’ouverture prochaine du Edo Museum of West African Art à Lagos, au Nigeria, dont ses concepteurs espèrent qu’il permettra de montrer une culture vivante, et non une ancienne civilisation disparue.
Bronzes. Dans une vidéo publiée sur son site, l’Université de Cambridge détaille sa position sur la restitution des Bronzes du Bénin au Nigeria (voir LBDC n°1). Le directeur et le conservateur en chef du musée attenant à l’université y racontent l’histoire de 470 pièces provenant du Royaume de Bénin, dont 116 viendraient du pillage de sa capitale Edo en 1897, jusqu’à leur arrivée dans les collections du musée au début des années 1900. Ils évoquent également l’évolution de la politique de restitutions en vigueur à l’Université de Cambridge, à travers une réflexion démarrée dès 2017 avec l’établissement d’une collaboration avec des représentantes et des représentants du Nigeria. Après la demande officielle formulée par le pays en janvier 2022, le conseil de direction du musée a donné son accord, ouvrant sur la prochaine restitution de ces 116 objets.
Emploi
Luxembourg. Le Luxembourg Centre For Contemporary and Digital History (ou C2DH) de l’Université du Luxembourg recrute trois post-doctorantes ou post-doctorants pour travailler pendant un an sur les recherches de provenances au Musée national d’Histoire et d’Art du Luxembourg, à la Bibliothèque nationale du Luxembourg et à la Villa Vauban - Musée d'Art de la Ville de Luxembourg. Date limite non communiquée, prise de poste : début mai 2023.
Conférences et appels à communication
Shanghai. Le 20 et 21 mars 2023, le Centre international de recherche et d’échanges de l’ICOM (ICOM-IMREC) organise un séminaire consacré à la décolonisation des musées et aux processus de restitution à Shanghai (Chine). Le programme n’est pas encore complet, mais la première journée sera consacrée aux enjeux de la décolonisation des musées, et la seconde aux conséquences des restitutions de patrimoine sur les communautés concernées.
Fribourg. Le laboratoire DFG Graduate School 2571 “Empires: Dynamic Transformation, Temporality and Postimperial Orders” de l’Université de Fribourg (Allemagne) lance un appel à communication pour le colloque “Environmental and Cultural Destruction in Imperial Spaces” (.pdf) qui se tiendra du 30 novembre au 2 décembre 2023. Date limite pour les propositions : 17 mars.
Afrique. La revue d’Histoire contemporaine de l’Afrique (RHCA) propose un appel à contributions pour son n°6, à paraître au premier semestre 2024, autour du thème “Usages situés de la modernité. Repenser les récits de l’art depuis l’Afrique (c. 1920-1980)”, orientée vers l’histoire de l’art du continent. Date limite pour les propositions : 15 mars 2023.
Et aussi
Bibliothèque. Kévi Donat, qui anime les visites Le Paris noir, à la découverte de l’histoire et de la présence des personnes noires dans la capitale, propose également un podcast mensuel, Dans la bibliothèque du Paris Noir.
Désordre. Nouvel ouvrage de Françoise Vergès, à paraître le 3 mars : Programme de désordre absolu. Décoloniser le musée. J’y reviendrai dans un prochain numéro.
Cinéma. À l’occasion de la sortie du film “Tirailleurs” au début de l’année, Thibault Montbazet, enseignant en histoire-géographie a publié un long fil de tweets retraçant le parcours de Saïd-Désiré Zentar, soldat des troupes coloniales, à travers l’étude de son dossier de naturalisation.
Géopolitique. Sur France Culture, l’émission Cultures Monde a récemment consacré trois émissions aux luttes des populations autochtones : au Canada, les réparations après les pensionnats ; en Australie, la voix des Aborigènes ; en Scandinavie, les revendications des Samis.
Retour vers le futur. RetroNews, le site de presse de la BnF qui revient sur les actualités passées en écho au présent, produit le podcast “Séries noires à la une” consacré au traitement médiatique des affaires criminelles. Le dernier numéro aborde l’histoire de Furcy Madeleine, esclave réunionnais devenu libre après un procès de plus de 30 ans, à la veille de l'abolition de l'esclavage de 1848.
C’est tout pour aujourd’hui. La botte de Champollion revient dans deux semaines, avec un numéro consacré à trois expositions ouvertes en ce moment à Paris.
Sébastien Magro