#9 | Un patrimoine rassemblé, trois lois annoncées et des Na'vi dénoncés
Héritage colonial et décolonisation des musées, en France et dans le monde
Au sommaire de ce numéro, un ambitieux inventaire numérique du patrimoine kanak dévoilé par la Nouvelle-Calédonie, trois lois sur les restitutions annoncées par la France, l’imbroglio autour de la restitution des marbres du Parthénon et d’autres actualités de l’héritage colonial et de la décolonisation dans le monde.
Actualités
Océanie. Le musée de Nouvelle-Calédonie a dévoilé la base IPKD, pour “Inventaire du patrimoine kanak dispersé”. Jusqu’à présent uniquement accessible aux chercheuses et aux chercheurs, cette base de donnée permet pour le moment de consulter 700 fiches d’objets conservés dans une douzaine d’institutions de l’Hexagone. D’autres notices seront ajoutées au fur et à mesure de la signature de partenariats avec les musées, comme l’indique Marianne Tissandier, responsable des collections du Musée de Nouvelle-Calédonie, dans un article de la 1ère (France Info). Ce travail au long cours, initié dans les années 1980, a permis la réalisation de deux expositions, “De jade et de nacre” présentée en 1990 au musée de Nouvelle-Calédonie puis au Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie, et “Kanak. L’art est une parole” en 2013 au musée du quai Branly. Ce dernier accueille actuellement l’exposition “Carnet Kanak”, qui documente également le projet. Les deux porteurs historiques, Roger Boulay, ancien chargé de mission à la direction des musées de France et spécialiste des collections kanak, et Emmanuel Kasarhérou, ancien conservateur au musée de Nouvelle-Calédonie et actuel président du musée du quai Branly, ont eu récemment l’occasion d’aborder la question des objets déplacés sur France Culture. À ce jour, 17 000 objets kanak sont recensés dans 110 musées hors Nouvelle-Calédonie.
Grèce. Vous n’avez rien suivi aux dernières annonces sur les marbres du Parthénon ? Moi non plus, mais heureusement, The Guardian consacre une rubrique entière à la question, riche de 180 articles qui remontent jusqu’en 1999. Pour résumer : le British Museum se serait enfin décidé à rendre les pièces réclamées formellement par la Grèce depuis 1983 (et pour lesquelles le pays a construit un musée flambeau neuf en 2009). Selon les rumeurs, un accord impliquant des prêts de long terme, en échange d’objets jamais montrées hors du pays, était sur le point d’être signé. Problème : l’actuelle ministre britannique de la Culture a rappelé au British qu’il ne lui était légalement pas possible de faire sortir ces objets de ses collections.
Législation. La ministre de la Culture Rima Abdul Malak a annoncé dans Le Monde que l’exécutif soumettrait prochainement trois lois au vote du parlement. Pourquoi trois ? “Parce que les réalités historiques et le degré de maturité des dossiers sont très différents.” selon l’article de Roxana Azimi. On y apprend également que le Président de la République souhaite confier à Jean-Luc Martinez, ancien président du Louvre (et ironiquement mis en examen au printemps 2022 dans une affaire de trafic d’antiquités orientales), une mission visant à dessiner les contours d’une loi-cadre. L’une des lois traitera de la restitution des biens juifs spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale, une autre s’attaquera aux restes humains et la dernière, aux objets volés pendant la période coloniale. Pour autant, il semble que les budgets alloués à ces projets ne connaîtront pas d’augmentation, alors que les recherches de provenance demandent des moyens humains et financiers qui font défaut aux musées concernés (cf LBDC #4).
Québec. La chercheuse Huronne-Wendate Élisabeth Kaine, l’une des rares universitaires autochtones au Canada, et qui a marqué la muséologie québécoise est décédée fin décembre. Quelques jours avant, elle avait accordé une interview au Devoir. Elle y revenait sur l’apparition du concept de décolonisation et les obstacles auxquels elle était confrontée au quotidien, comme la difficulté de faire entendre sa voix et son point de vue en tant qu’autochtone, ou l’arrogance des institutions patrimoniales québécoises qu’elle appelait à devenir des lieux de guérison.
“Oui, on m’invite, on me veut, on a les fonds. Mais le personnel n’a pas été formé pour changer de perspective et, dans la préparation d’une exposition, on fait affaire avec beaucoup de métiers.” — Élisabeth Kaine, Le Devoir, 13 décembre 2022
Rencontres et conférences
Cinéma. Mardi 24 janvier à 18h, le Musée d’Aquitaine (Bordeaux) organise une projection-débat avec Nora Philippe, réalisatrice du documentaire “Restituer ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre” (2021) et le journaliste Philippe Baqué, auteur de l’ouvrage “Un nouvel or noir. Le pillage des objets d’art en Afrique” (1999, 2021), animée par l’anthropologue Anne Doquet (IRD-IMAF).
Restitution. L’association Alter Natives, consacrée aux usages sociaux du patrimoine, organise une journée dédiée aux actions éducatives décoloniales dans les musées européens, événement final du projet Breathe!, le samedi 4 février au Centre Paris Anim’ Louis Lumière (Paris).
Suisse. Du 15 au 17 mars, l’Ocim et le Muséum d’Histoire naturelle de Neufchâtel organisent le colloque international Muséums d’histoire naturelle et décolonisation : expériences et regards critiques, au MHNN.
Emplois, résidences et programmes d’aide à la recherche
Statues. La laboratoire IDHE.S (Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie et de la Société) ouvre un appel à candidatures pour l’école d’été “Des statues pour mémoire ? Espace public et colonisation” qui se tiendra à Paris les 27 et 28 juin 2023. Date limite pour candidater : le 31 janvier (réponses communiquées avant le 28 février).
Et aussi
Afrique. Arte consacre un cycle de trois documentaires au renouveau des musées africains, à travers des exemples à Dakar (Sénégal), Bénin City (Nigeria) et Le Cap (Afrique du Sud), à voir jusqu’au 19 mars prochain.
Blue. Dans le Washington Post, le blockbuster “Avatar 2 : la voie de l’eau” de James Cameron fait l’objet de critiques par des personnes autochtones en raison de raccourcis et d’approximations dans la représentation des Na’vi, population inspirée des Maoris, entre autres.
Statues (aussi). À réécouter sur RFI : le magazine “Idées” reçoit Bertrand Tillier, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur de “La disgrâce des statues”.
Royals. Le 3e épisode du docu-série “Harry and Meghan” s’ouvre sur une brève histoire coloniale du Royaume-Uni, à lire dans The Guardian.
C’est tout pour aujourd’hui ! Merci à Emmanuel Resche-Caserta et aux autres personnes qui m’ont transmis des informations, que je les ai retenues ou non pour cette édition.
Je vous donne rendez-vous le 2 février prochain pour un numéro spécial autour du Black History Month.
Sébastien Magro