#3 | Un zodiaque, une stèle et Néfertiti dans la balance, d'autres bronzes restitués
Héritage colonial et décolonisation des musées, en France et dans le monde
Au programme de ce numéro, des bronzes du Bénin restitués au Nigeria par le Smithsonian, l’Égypte réclame la pierre de Rosette et d’autres antiquités à plusieurs pays européens, un détour par les États-Unis et, comme toujours, les récentes manifestations scientifiques sur l’héritage colonial et décolonisation des musées.
Actualités
Bronze. Après l’avoir annoncé en juin dernier, le Smithsonian a procédé le 11 octobre à la restitution de 29 bronzes du Bénin à la National Commission for Museums and Monuments du Nigeria lors d’une cérémonie qui s’est tenue au NMAAHC (National Museum of African American History and Culture, voir #LBDC n°1). C’est la première restitution depuis la mise en place d’une nouvelle politique d’éthique sur l’histoire des collections, au printemps 2022. Une enquête est en cours pour confirmer la provenance d’une série d’autres pièces que l’institution pourrait être amenée à rendre.
Égypte. Alors que l’année 2022 marque le bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion (voir ici, ici ou là), l’archéologue et ancien ministre égyptien des antiquités Zahi Hawass réclame le retour de plusieurs objets : le zodiaque de Dendérah, actuellement au Louvre, la pierre de Rosette conservée au British Museum de Londres, et le buste de Néfertiti exposé au Neues Museum de Berlin. Les deux premières pièces proviennent de la campagne de Bonaparte en Égypte (1798-1801), tandis que la troisième a été rapportée par l’archéologue allemand Ludwig Borchardt en 1912. Le British a opposé une (polie) fin de non recevoir à la demande, arguant que l’accrochage actuel permet une mise en contexte de la pierre de Rosette. Le Louvre a rappelé que le zodiaque de Dendérah avait été acquis légalement, puisque c’est le vice-roi d’Égypte Méhémet Ali qui a autorisé la France à le prélever. Pas de réaction du Neues Museum pour le moment.
Amériques. Célébré depuis la fin des années 1970 par les peuples autochtones des États-Unis, le Indigenous People Day a été formellement reconnu pour la première fois par le président Joe Biden l’an dernier. Cette fête, qui a lieu le deuxième lundi d’octobre, a pour objectif de contrer Colombus Day, qui souligne l’histoire officielle et la “découverte” des Amériques par Christophe Colomb. CNN revient sur l’histoire de l’Indigenous People Day et sa signification pour les peuples amérindiens.
Tribune. Dans The Conversation, la doctorante en sciences politique Umbrin Bukan dresse un état des lieux des enjeux entourant demandes de restitutions et décolonisation des musées. Après avoir brièvement rappelé le contexte historique récent, elle plaide pour que les institutions dépassent les simples annonces de façade et s’impliquent dans la diversification de leurs équipes, y compris aux postes à responsabilité :
“Que les musées occidentaux proposent aux pays [d’origine] de leur prêter leurs propres objets illustre le prolongement d’une approche coloniale associant rapports de pouvoir, paternalisme et appropriation culturelle, et qui caractérise les demandes de restitutions.”
Amériques (aussi). La réouverture du Seattle Art Museum (SAM) a donné lieu à un travail réflexif autour de la définition d’American Art. Le musée a convié des représentantes et des représentants de communautés locales (Chicanos, Africaine-Américaine, Asiatique-Américaine) à siéger au sein d’un comité consultatif dans le cadre de la refonte de l’accrochage. Si les premières réunions ont été tendues, ce comité a permis au musée d’interroger la notion même d’art américain, certains membres estimant que “les arts de leurs communautés ne devraient pas servir à illustrer l’art américain (…), et devraient exposés séparément pour en montrer l’esthétique, les systèmes de valeur et les philosophies distinctes.”
Rencontres et conférences
Provenance. Le 23 septembre avait lieu la journée "À qui appartiennent les collections ?" organisée par le comité français de l’ICOM. J’ai résumé quelques initiatives qui ont retenu mon attention dans le fil de tweets ci-dessous.
Aujourd'hui avait lieu la journée "À qui appartiennent les collections ?" au @quaibranly organisée par l'@ICOM_France. Au programme : pas mal de droit, notamment international (parfois ardu, il faut bien le reconnaître) mais aussi des initiatives intéressantes à retenir. Un 🧵📍Le 23 septembre prochain aura lieu la journée professionnelle d'@ICOM_France au musée du quai Branly-Jacques Chirac @quaibranly et en ligne !👇 https://t.co/uNkx3rUEiAICOM @IcomOfficielGéographie. Le salon de lecture du musée quai Branly a inauguré le cycle “Autochtonies”, une carte blanche à deux géographes, avec une première rencontre le 8 septembre avec l’anthropologue Carole Lévesque (INRS Montréal).
Amériques (encore). Toujours au quai Branly, les 6 et 7 octobre a eu lieu le colloque “De l’esclavage aux Black Indians” dans le cadre de l’exposition Black Indians de la Nouvelle Orléans, qui vient d’ouvrir et se tient jusqu’au 15 janvier 2023. Je n’ai pas pu assister à ce colloque, mais j’aurai l’occasion de revenir sur cette exposition.
À venir
Océanie. Du 19 au 21 octobre 2022, l’INP propose une formation pour découvrir les méthodes et les ressources permettant de connaître et de présenter les collections océaniennes.
Migrations. Le colloque Sharing Museums / Musées partagés aura lieu au Palais de Porte Dorée du 20 au 22 octobre prochain. Au programme de cet événement qui s’annonce très institutionnel (quelle manifestation scientifique peut revendiquer la présence de 2 ministres pour l’ouvrir ?), trois jours “pour analyser les défis auxquels font face les musées de migrations, les enjeux de la diversité et enfin les implications des restitutions”.
Écosse. La conférence annuelle de la Museums Association (Grande-Bretagne) aura lieu à Édimbourg du 3 au 5 novembre 2022. Héritage colonial et discriminations raciales font partie des thèmes principaux retenus pour cette édition. En feuilletant le (très riche) programme, j’ai repéré une table-ronde sur l’approche adoptée par les musées écossais pour aborder l'empire britannique et l’esclavage ; une autre sur la collaboration avec les populations autochtones dans le Pacifique et une dernière sur la manière d’approcher les objets racistes.
En bref
Traite atlantique. Le musée d'histoire de Nantes propose une visite virtuelle de son exposition “L’abîme”. On peut notamment suivre une visite commentée par la commissaire Krystel Gualdé, directrice scientifique du musée et consulter d’autres ressources audiovisuelles.
Diplomatie. À lire dans Le Monde, Roxana Azimi se penche sur le renouveau de la politique culturelle française en Afrique.
Esclavage. arte rediffuse Les routes de l’esclavage, un documentaire de 2018, en quatre partie et disponible en ligne jusqu’au 1e novembre.
Enquête. Le Cambodge a envoyé une délégation officielle visiter le Victorian and Albert et le British Museum sur les traces de biens potentiellement mal acquis.
Afrique. L’émission estivale de France Inter consacrée aux grandes figures des décolonisations africaines est toujours disponible en podcast.
Allemagne. Depuis le 17 septembre 2022, le Humbold Forum a totalement rouvert, incluant l’Ethnologisches Museum (Musée d’Ethnohraphie) et le Museum für Asiatische Kunst (Musée d’Art asiatique).
C’est tout pour aujourd’hui ! Merci à Camille Françoise, Élisa Gravil et aux autres personnes qui m’ont transmis des informations, que je les ai retenues ou non pour cette édition.
Je vous donne rendez-vous le jeudi 27 octobre pour le n°4 de La botte de Champollion, avec une sélection de ressources.
Sébastien Magro