#18 | Ça s'est passé cet été
Actualités de la décolonisation des musées, de leur héritage colonial et esclavagiste, en France et dans le monde
J’espère que vous avez passé un bel été, qu’il ait été studieux, laborieux, oisif ou un peu de tout ça. La saison redémarre et La botte de Champollion fête sa première année d’existence avec un nouveau numéro consacré à l’actualité estivale de la décolonisation des musées, de leur héritage colonial et esclavagiste, en France et dans le monde.
Bonne lecture !
Revue de presse
Toudoum. Oubliez Drag Race France et la saison 2 de The Bear, le feuilleton de l’été c’est la crise sans précédent que traverse le British Museum. Si vous n’avez pas tout suivi : entre 1500 et 2000 pièces (selon les sources) auraient été volées par un⋅e ou plusieurs responsables de collections (l’un d’entre eux a d’ores et déjà été renvoyé), sur fond de tensions entre Hartwig Fischer, directeur depuis 2016 et qui vient de remettre sa démission, et George Osborne, ancien diplomate britannique et président du musée, semble-t-il très investi dans la restitution des marbres du Parthénon. Pourtant, les faits ne sont pas récents, puisque dès 2021, le marchant d’art Ittai Gradel avait informé le British Museum après avoir identifié sur le marché des objets antiques issus de ses collections.
Parmi les nombreux articles qui ont évoqué l’affaire, je vous suggère celui-ci de John Gapper dans le Financial Times, qui donne des éléments de contexte et fourmille de chiffres (on peut toujours compter sur la presse économique pour ça) et cet autre de Jo Lawson-Tancred dans Artnet, qui adopte une perspective plus professionnelle, à travers les enjeux du catalogage, centraux dans le dossier, et ceux des recherches de provenance. Vous y lirez notamment Elizabeth Marlowe, directrice du département de muséologie de la Colgate University d’Hamilton, New York : “On ne peut pas rendre ce qu’on ne sait pas qu’on a. Pas besoin de verser dans le conspirationnisme pour se demander si ce n’est pas un hasard si le British Museum n’a même pas catalogué la moitié de ses collections”.
De fait, il y a de quoi s’interroger sur le devoir d’exemplarité attendu d’une institution de premier plan, musée phare de la 6e puissance mondiale alors que, dans le contexte des demandes de restitutions, on remet encore régulièrement en question la capacité des pays demandeurs (africains notamment) à assurer la sécurité des collections.
Work, work, work. Dans un long et émouvant article, Janell Ross raconte l’émergence des demandes de réparations à la Barbade, et revient sur l’histoire de l’île marquée par l’esclavage. Elle s’appuie sur le témoignage de la poétesse Esther Phillips et sur sa relation avec l’ancienne plantation Drax Hall, appartenant à Richard Drax, député britannique conservateur et héritier de la propriété qui date du milieu du 17e siècle. On y apprend que selon le droit international, des réparations peuvent être demandées si un crime contre l’humanité a été commis, ou si un pays a mis en place ou autorisé une pratique, un système ou un événement dont chaque étape viole les lois internationales. De fait, le commerce triangulaire et ses conséquences, durant les presque 400 ans qu’a duré la traite atlantique, sont éligibles à cette définition selon le juge Patrick Robinson cité dans l’article.
“Pendant des siècles, les matières premières produites dans les Amériques ont été envoyées par bateau vers l’Europe, entretenant la richesse ou créant de nouvelles fortunes chez les populations blanches ou, tout du moins, leur assurant un emploi. Ces richesses ont permis de construire les infrastructures et les industries européennes, avant d’alimenter les révolutions industrielles. Or, les économies qui en résultent sont aujourd’hui responsables du changement climatique qui met les Caraïbes en danger.” - Janell Ross, Time.
Ceci n’est pas une pipe. C’est une restitution pour le moins inhabituelle qui a eu lieu en novembre dernier, racontée par Justin Jennings, conservateur au Royal Ontario Museum et Duke Peltier, chef de la nation Anishinabé dans le magazine Sapiens. Le ROM a fait l’acquisition d’un calumet datant de 1836, symbole d’un traité bafoué par le Royaume-Uni, dans l’objectif spécifique de le rendre à la population Wiikwemkoong de l’île de Manitoulin. Le musée a tout d’abord acheté l’objet sur le marché (ainsi que de plusieurs wampuns, voir LDBC n°16), avec l’aide d’un fond débloqué par le gouvernement canadien. Puis le ROM a déposé l’ensemble dans le cadre d’un prêt à la Fondation culturelle Ojibwe, une institution anishinabée et basée sur l’île de Manitoulin. Pour les auteurs de l’article, cet exemple ouvre la voie à de nouvelles formes de restitutions : “Il montre que les populations autochtones, les musées et les gouvernements peuvent collaborer pour acheter, restaurer et restituer le patrimoine à des collections privées.”
Expositions, rencontres et conférences
Réflexivité. Le Fitzwilliam Museum de Cambridge, fondé grâce à la traite transatlantique, revient sur sa propre histoire à travers l’exposition Black Atlantic: Power, People, Resistance (qui a ouvert ses portes aujourd’hui), ponctuées d’interventions d’artistes contemporaines et contemporains noirs, à lire sur le site de la BBC.
Bénin. Le 14 septembre, le Muséum d’histoire naturelle de Toulouse propose une journée interprofessionnelle autour des pratiques de conservation et de médiation des collections en provenance du Bénin, en partenariat avec des professionnels béninois du patrimoine et l'Université Toulouse Jean Jaurès.
Premiers arrivés. La captation du colloque “Collections Premières” - Collections sous l'ancien régime et le premier XIXe siècle (14, 15 et 16 juin dernier) est en ligne sur la chaîne YouTube de l’INHA.
Emplois, études
Provenances : musique ! La Philharmonie crée un poste en CDI pour documenter les 9 220 œuvres répertoriées par le Musée national de la musique. La description appelle un profil SHS, archivistique et numérique.
Provenances : spoliations. L’Office fédéral de la culture OFC (Berne, Suisse), recrute une ou un responsable “Art spolié et recherche de provenance”. Cette fois, l’offre est plus orientée vers le droit du p⋅matrimoine.
Rentrée. Et pour former les futur⋅es professionnel⋅les, l’École du Louvre inaugure le master Biens sensibles, provenances et enjeux internationaux, sous la houlette de la conservatrice en chef du patrimoine Isabelle Anatole-Gabriel, d’Anne-Solène Rolland, directrice du patrimoine et des collections et de Lise Mesz, son adjointe et conseillère sur l'histoire des collections, toutes deux au musée du quai Branly.
Turn over. Le quai Branly, justement, propose une vingtaine de postes au recrutement, parmi lesquels chargé⋅e de la documentation des collections et des archives à la médiathèque, restaurateur⋅trice spécialisé.e dans le traitement des objets ethnographiques au pôle Conservation-restauration et surtout directeur⋅trice du département de la recherche et de l’enseignement, avec peut-être le retour à une personne du secteur, cette fois ?
Et aussi
Architecture. L’International African American Museum (IAAM) a ouvert ses portes le 24 juin dernier, à Charleston en Caroline du Sud, sur le site historique qui a accueilli la moitié des Africaines et des Africains esclavagisés au 18e et 19e siècle. À lire dans Archello, Gerard McGuickin nous fait visiter le bâtiment, un plan ouvert semblant flotter sur pilotis, qui préserve le site agrémenté d’un jardin.
Révisions. Pour la rentrée, Le cours de l’histoire sur France Culture a consacré une semaine à la Françafrique, une histoire postcoloniale.
Documentaire. À la charnière du 19e et du 20e siècle, Ida B. Wells a été une pionnière du journalisme. Préfigurant ce qu’on nomme aujourd’hui le data-journalisme, elle a inlassablement compté et documenté les lynchages de personnes africaines-américaines, principalement des hommes, dans le sud des États-Unis. Antoine Tricot lui rend hommage avec un documentaire sonore diffusé dans Toute une vie.
C’est tout pour aujourd’hui. Merci à Isabel Notaris, Jean Abbiateci et à toutes les personnes qui m’ont signalé des ressources, que je les ai utilisées ou non.
La botte de Champollion revient dans deux semaines, avec un numéro consacré à trois expositions écrites au “nous”, que j’ai récemment visitées.
Sébastien Magro