#22 | Du rôle social des musées en ces temps troublés
Actualité de l'héritage colonial et esclavagiste des musées, en France et dans le monde
À la fin de l’année 2023, le Musée d’histoire de Lyon a dévoilé son nouveau parcours permanent. Le Figaro Histoire l’a vertement critiqué, accusant l’équipe de “wokisme” - on attend toujours une définition claire et précise du phénomène, qui ne s’appuie sur aucune réalité scientifique mais c’est une autre histoire. Xavier de La Selle, directeur du musée, est revenu sur la polémique dans les colonnes de la Tribune de Lyon. Il a rappelé l’importance d’associer les équipes en charge de la médiation dans la conception de l’exposition, et sa volonté d’accorder une plus grande place aux femmes, aux personnes immigrées et aux classes populaires, mécaniquement peu présentes dans les collections. Sa démarche s’inscrit dans la tradition des écomusées et des musées de société (il est par ailleurs président de la FEMS).
En ces temps troublés où il est plus que jamais nécessaire de penser la violence, de déconstruire les stéréotypes racistes et de désamorcer les idéologies réactionnaires, il est d’autant plus urgent que les musées embrassent leur rôle social. Cette responsabilité s’exprime à travers la politique des publics, les choix dans la programmation culturelle et les arbitrages dans les expositions.
Bonne année 2024 à toutes et à tous, et bonne lecture de ce premier numéro consacré à l’actualité de l’héritage colonial et esclavagiste des musées.
Au programme
Actualités, revue de presse
Bonne note | Aïssata Seck vient de prendre la direction de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Mais avant de
prendre sa retraitede retourner au Ministère de la Culture après 4 années à la tête de l’institution, Dominique Taffin a coordonné la publication de la troisième Note de la FME, une passionnante mise en perspective historique des liens entre racisme et esclavage. Richement illustré de ressources, le document de 28 pages a été rédigé par un groupe de 8 universitaires (historiennes et historiens, philosophe, professeur de littérature). Une dizaine d’encadrés complètent le propos, en éclairant des points parmi lesquels le colorisme, un héritage de l’esclavage et de la racialisation en Afrique ; les traces de l’empire colonial dans le langage aux Antilles et Guyane ou encore les politiques raciales au Brésil.Cadeau | Dans The Gift, son dernier ouvrage paru en octobre 2023, l’historienne Ana Lucia Araujo raconte le rôle des objets de prestige dans la traite atlantique, à travers l’histoire d’un sabre cérémoniel commandé par des marchands français au 18e siècle à La Rochelle, puis offert à un agent africain dans le port de Cabinda (actuel Angola) et emporté par des marchands d’esclaves jusqu’à Abomey avant d’être raflé par l’armée française au 19e. L’ouvrage s’appuie sur des objets conservés dans des musées d’Europe et des Amériques, et de nombres ressources en français, anglais et portugais. Le premier chapitre est disponible au gratuitement téléchargement.
Anniversaire | À l’occasion des 40 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, le Musée national de l’histoire de l’immigration a organisé une collecte d’objets et de témoignages, qui s’appuie sur huit événements dans plusieurs institutions de l’Hexagone, pendant l’automne 2023. L’appel est toujours en ligne et ne spécifie pas de date de fin.
Balado | L’association réunionnaise Praxitèle a organisé une campagne de financement participatif à l’occasion du projet Musées dan l'fénwar, un podcast de 8 épisodes dans lesquels des ado de La Réunion décriront des œuvres de musées locaux, en français et en créole, à destination de publics mal-voyants et non-voyants. Un pari gagné puisque la campagne à atteint les 106% de financement !
Agenda
Explorations | Jeudi 18 janvier, à 18h30 au salon de lecture du musée du quai Branly, rencontre avec Valérie Perlès autour de son ouvrage “Un roman Dahoméen. Francis Aupiais et Bernard Maupoil, deux ethnologues en terrain colonial”, avec Gaëlle Beaujean, responsable des collections Afrique.
Spoliations | Mercredi 24 janvier, à 18h30 à l’INHA, première séance du séminaire “Patrimoine spolié pendant la période du nazisme (1933-1945) – Conséquences, mémoires et traces de la spoliation” : “Un nouveau regard sur les sources d’archives” avec Vincent Tuchais (Archives de Paris). Deuxième séance le 28 février.
Colonisations | Jeudi 25 janvier, à 18h30 au salon de lecture du musée du quai Branly, rencontre avec Guillaume Blanc et Pierre Singaravélou autour de la somme “Colonisations. Notre histoire” qui vient de paraître au Seuil.
Installations | Samedi 3 et dimanche 4 février, 7e édition de “L’Envers du décor”, une programmation de conférences et de performances dans le Palais de la Porte dorée.
Exposition | Mardi 6 février, au musée du quai Branly, ouverture de l’exposition “Déborder l'anthropologie” autour de la romancière Zora Neale Hurston, de la journaliste Eslanda Goode Robeson et de la danseuse Katherine Dunham.
Institutions | Jeudi 8 février, à 17h30 à l’INP, rencontre “Le patrimoine du Bénin et ses nouvelles institutions culturelles” avec Daniel Abidjo.
Et aussi…
Congo | 92 ans après sa première parution, une nouvelle édition de Tintin au Congo vient de paraître, enrichie cette fois d’une préface sur le contexte colonial de l’époque. Une mise en perspective qui n’a pas convaincu l’historien Pascal Blanchard, comme il l’a raconté au Monde Afrique.
Vidéo | À voir sur arte, une courte série d’animation qui revient avec pédagogie sur l’histoire de l’esclavage colonial, des premiers empires coloniaux jusqu’aux dernières décolonisations au 20e siècle. Mais difficile d’être exhaustif en cinq épisodes de moins de 2 min, et on regrettera l’usage du terme “Indiens” pour les populations autochtones d’Amérique du Nord, autant que l’explication de la controverse de Valladolid sans la nommer.
Bugeaud | La Ville de Paris envisage de débaptiser l’avenue du Maréchalt Bugeaud qui s’est illustré dans la colonisation de l’Algérie au 19e siècle, pour lui préférer le nom d’Hubert Germain, dernier Compagnon de la Libération disparu en 2021. Le maire (LR) du XVIe arrondissement Jérémy Redler s’y oppose, mais c’est l’occasion pour l’équipe d’Anne Hidalgo de revenir sur les changements de noms des espaces publics dans la capitale, en rappelant qu’elle “n’entend ni déboulonner les statues ni changer massivement les noms de ses rues” et que “les plaques de l’avenue Bugeaud seront (…) transférées au musée Carnavalet, pour témoigner de ce moment de l’histoire de la capitale.”
En VO | Lily Gladstone est la première personne autochtone d’Amérique du Nord à recevoir un Golden Globe de meilleure actrice pour son rôle dans Killers of The Flower Moon, de Martin Scorsese. De culture Siksikaitsitapi/Nimíipuu (Pieds-Noirs/Nez-Percés), elle a ouvert son discours de remerciement en langue siksiká. Comme le New York Times le relatait en décembre, le film n’a pas fait l’unanimité chez les Native Americans.
C’est tout pour aujourd’hui. Merci à Claire Petit, Pierre Bosquet et à toutes les personnes qui m’ont signalé des ressources, que je les ai utilisées ou non.
La botte de Champollion revient dans deux semaines, je vous présenterai trois livres autour de la décolonisation.
Sébastien Magro