#20 | Un masque mésestimé, un documentaire normand et deux nominations
Actualité de l'héritage colonial et esclavagiste des musées, en France et dans le monde
La botte de Champollion est de retour après un bon mois d’absence, merci de votre patience ! Comme indiqué dans le dernier numéro, je me suis rendu dans le Pacifique pour participer au colloque Patrimoines insulaires, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie (j’y reviendrai dans le prochain numéro), en faisant un détour par l’Australie pour visiter une dizaine de musées à Sydney et Melbourne. Il s’est passé pas mal de choses entre temps, voici quelques informations que j’ai retenues.
Bonne lecture !
Revue de presse
Masque. En 2021, un brocanteur achète 150€ un masque gabonais à un couple à la retraite dans le Gars. Après estimation, il le revend l’année suivante 4,2 millions d’euros. En effet, c’est un masque Fang de la société secrète Ngil, dont il ne resterait qu’une dizaine d’exemplaires dans le monde. Après avoir évoquée l’affaire dans un premier article, France 3 Occitanie développe l’arrivée d’un nouvel acteur : l’État gabonais réclame l’objet. Or si l’on en croit Pierre Noual, juriste spécialisé en droit du patrimoine (voir l’épisode 33 du podcast “Culture&Com”), la situation se présente mal pour le Gabon car, d’ordinaire, les questions de restitutions se traitent d’État à État, rarement entre un particulier et un État, et le cadre juridique de telles situations n’est pas clair. Mais où est Arsène Lupin quand on a besoin de lui ?
Génocide. À lire dans AOC, le sociologue Didier Fassin revient sur le massacre des Hereros par l’Allemagne au début du 20e siècle, dans ce qui est aujourd’hui la Namibie. Il décrit les mécanismes (colonisation, humiliations, spoliations des terres et des biens, esclavage) et rappelle l’ancrage colonial de ce premier génocide moderne, qui préfigure la Shoah. Il établit un parallèle avec la situation en Palestine, alors que la crise humanitaire ne cesse d’empirer pour la population civile, victime des bombardements conduits par le gouvernement israélien, en représailles aux attentats perpétrés par le Hamas le 7 octobre dernier. Rappelant que, si le premier a eu lieu “dans le silence du désert du Kalahari, la tragédie de Gaza se déroule sous les yeux du monde entier.”
Documentaire. Diffusé le jeudi 19 octobre dernier sur France 3 Normandie, “Le souvenir dans la peau, esclavage en terre normande" revient sur le passé esclavagiste méconnu de la Normandie. On y apprend que le Havre, Honfleur et Rouen ont constitué le deuxième pôle de commerce esclavagiste français au 18e siècle. Ce pan de l’histoire est par ailleurs l’objet de l’exposition Esclavage. Mémoires normandes, présenté simultanément dans les trois villes jusqu’au 10 novembre. Le film, réalisé par Thierry Durand, est disponible en replay sur France.tv.
Expositions, rencontres et conférences
Asie. Jeudi 30 novembre, dans le cadre de son exposition “Immigrations est et sud-est asiatiques de 1860”, le Musée de l’histoire de l’immigration propose une soirée visite guidée suivie d’une rencontre avec les deux commissaires, Simeng Wang et Émilie Gandon, et leur invitées.
Emplois, études
Suisse. L’Institut d’histoire de l’art et de muséologie de l’Université de Neuchâtel annonce l’ouverture d’un Certificate of Advanced Studies, une formation courte à la recherche de provenance. Elle vise un public déjà inséré dans le secteur culturel, dans les sciences humaines et sociales ou le marché de l’art, et se déroulera en deux modules d’une dizaine de jours chacun, entre janvier et septembre 2024.
Et aussi
Recherches (de provenance). Début septembre, le musée d’Orsay a nommé l’historienne de l’art Inès Rotermund-Reynard chargée des provenances. Ce poste nouvellement créé a pour objectif d’accélérer les travaux sur les œuvres classées MNR (pour “Musées Nationaux Récupération”), acquises dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale.
Recherche (direction de la). Le musée du quai Branly a un nouveau directeur de la recherche : il s’appelle Benoît de L’Estoile. Agrégé d’histoire et docteur en anthropologie, il est l’auteur de “Le Goût des Autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers” (Flammarion, 2007).
Modèle. Dans une récente vidéo publiée sur son compte Instagram, France Culture évoquait la figure de Joseph le Maure, un homme haïtien né au début du 19e siècle et dont on sait peu choses, si ce n’est qu’il a été modèle pour Géricault, Delacroix et d’autres artistes. La vidéo est basée sur une interview avec l’écrivain congolais Bona Mangangu, qui a écrit sur le modèle, et publiée sur le site de la radio en 2019.
C’est tout pour aujourd’hui. Merci à Philippe Colomb et à toutes les personnes qui m’ont signalé des ressources, que je les ai utilisées ou non.
La botte de Champollion revient dans deux semaines, avec un numéro consacré au colloque Patrimoines insulaires.
Sébastien Magro