#13 | Un musée rouvre dans le Pacifique, une commissaire se livre et le bon vocabulaire autochtone
Décolonisation, héritage colonial et esclavagiste des musées, en France et dans le monde
Au programme de ce numéro : la réouverture du Musée de Tahiti, le témoignage de la commissaire québécoise eunice bélidor, plusieurs bourses de recherche dans l’Hexagone, un appel à communication en Nouvelle-Calédonie, et d’autres actualités.
Mais avant, un message de service : avec ce 13e numéro, La botte de Champollion fête ses 6 mois. Merci à toutes et à tous pour votre soutien, vos conseils et vos commentaires qui sont enthousiastes, pour la majorité.
À l’heure actuelle, vous êtes près de 900 personnes abonnées, et je constate avec plaisir que ce projet a rencontré son public. Il y a un vrai besoin du secteur culturel pour un support d’information et de réflexion sur l’héritage colonial et esclavagiste des institutions patrimoniales, en français. Les choses bougent rapidement ailleurs en Europe et dans le monde, notamment dans les pays francophones, au point que, comme je le disais récemment sur LinkedIn, je ne peux pas suivre toutes les manifestations scientifiques qui couvrent le sujet.
Je profite de l’occasion pour vous rappeler que ce travail de veille demande du temps, et donc des financements pour que je puisse continuer de le réaliser dans les meilleures conditions. Pour m’aider, vous pouvez me donner un coup de pouce sur Stripe, ou me contacter pour former vos équipes aux enjeux de la décolonisation des musées au sein de votre établissement. J’étudie également toute opportunité de mécénat ou de sponsoring.
Allez, fini la logistique, retour à notre programme habituel !
Actualités
Réouverture. Après plus de quatre années de travaux, le Musée de Tahiti a rouvert ses portes le 4 mars 2023, et porte à présent le nom de “Te Fare Iamanaha”. Sur une surface de 1400m², la nouvelle salle d’exposition permanente accueille un accrochage thématique qui souligne le fond culturel commun aux populations polynésiennes : peuplement des îles, navigation, sacré et marae, rites funéraires, pêche, vie quotidienne, tapa, tatouage, danse et musique. Les aires géographiques couvertes sont Tahiti donc, mais aussi les Îles Cook, Aotearoa (la Nouvelle Zélande en langue maori), Hawaii et Rapa nui (l’Île de Pâques), mais aussi Samoa, Tonga et Fidji. Le parcours se referme sur une section mettant en valeur les réalités sociales et culturelles de la population polynésienne contemporaine. À l’occasion de la réouverture, le musée accueille des prêts du British Museum, du Museum of Archaeology and Anthropology de Cambridge et du musée du quai Branly. Un audioguide est proposé en français, anglais, espagnol mais surtout : il est gratuit en tahitien, dans une perspective de valorisation des langues polynésiennes.
Chroniques d’une occasion ratée. La commissaire indépendante eunice bélidor, québécoise d’origine haïtienne, a été la première femme nommée à la tête des collections d’art québécois et canadien contemporain au Musée des Beaux-Arts de Montréal en avril 2021. Deux ans après, elle évoque les raisons de son départ en janvier dernier dans une longue interview accordée à Lise Ragbir d’Hyperallergic. L’entretien s’ouvre sur la relative naïveté avec laquelle la commissaire, de son propre aveux recrutée sans expérience muséale, semble aborder les missions quotidiennes d’une conservatrice. Mais il se révèle vite instructif sur les mécanismes du racisme systémique qui irrigue les musées. eunice bélidor décrit comment elle a réalisé avoir été un recrutement Black Lives Matter. Malgré l’accueil chaleureux que ses collègues lui ont réservé, l’institution “n’était pas prête” à embaucher une conservatrice noire. Elle raconte la pression ressentie alors que le musée est venu la chercher et déploie la complexité d’“une prison dorée” : un poste prestigieux et envié, des bonnes conditions de travail, un bon salaire… Mais la violence d’une institution qui, fondamentalement, ne veut pas changer. Aujourd’hui, elle envisage de revenir au commissariat indépendant et à l’écriture, deux activités de production d’un discours sur l’art qu’elle considère comme complémentaires.
“Dans ma pratique, je me demande : “Qu’est-ce que je ne vois pas quand je regarde cette œuvre d’art ? Quelles sont les influences, quelles sont les relations qui l’ont façonnée ? (…)” Le musée [des Beaux-Arts de Montréal] m’a aidée à comprendre que les barrières historiques ne sont pas là pour être démontées. À l’interne, les gens des institutions ne veulent pas qu’elles le soient, c’est pourquoi nous devons trouver d’autres voies.” — eunice belidor, commissaire indépendante
Bourses et résidences
Doc et post-doc. Les demandes de bourses doctorales et post-doctorales du musée du quai Branly sont ouvertes jusqu’au 3 avril prochain (oui, c’est lundi…). Disciplines concernées : anthropologie, ethnomusicologie, histoire et histoire de l’art, archéologie, sociologie, arts du spectacle ; le tout dans les aires géographiques couvertes par le musée : Afrique, Asie, Océanie et Amériques.
Esclavage. En partenariat avec la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, le quai Branly propose également une unique bourse doctorale spécifiquement tournée vers l’esclavage colonial. Mêmes disciplines, et parmi les thématiques suggérées : étude des sociétés post-esclavagistes, héritages sociaux et culturels matériels et immatériels, perspectives africaines sur l’esclavage, etc. Deadline : le 20 avril 2023.
CNRS. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche propose aux enseignantes-chercheuses et aux enseignants-chercheurs une résidence visant à développer la recherche en sciences humaines et sociales dans les musées. Date limite : 17 avril, pour une prise de poste au 1e septembre.
Rencontres, conférences et appels à communication
Regards croisés. Dimanche 2 avril, Christophe Boltanski, auteur de King Kasaï (collection “Ma nuit au musée” des éditions Stock) et Taina Tervonen, autrice de Les Otages, une enquête sur le butin de Ségou, discuteront à la Foire du Livre de Bruxelles.
Silence. Le vendredi 7 avril 2023, les élèves conservatrices et conservateurs du patrimoine INP organisent la journée d'étude Faire parler les silences de l'histoire. Les patrimoines absents, à l’INHA (Paris), avec notamment Marion Bertin sur le patrimoine kanak dispersé et Angelos Triantafyllou sur l’œuvre d’Édouard Glissant.
Insulaire. L’Icofom (Comité international pour la muséologie de l’Icom), l’AMP-NC (Association des Musées et Établissements Patrimoniaux de Nouvelle-Calédonie) et l’Université de la Nouvelle-Calédonie lancent un appel à communication pour le colloque Favoriser la visibilité et l’attractivité des patrimoines insulaires : un enjeu muséologique du XXIe siècle, qui se tiendra en Nouvelle-Calédonie du 16 au 21 octobre 2023. Date limite pour soumettre une proposition de participation : 30 avril.
Et aussi
Réel. “Amérindiens” ? Premières nations ? Inuits ? Sur Instagram, l’activiste québécois Xavier Watso, membre de la nation abénaquis, nous aide à choisir les bons mots pour parler des 11 populations autochtones du
CanadaQuébec. Une deuxième vidéo décrypte les préjugés dont ces peuples font l’objet, et une troisième est consacrée au peuple innu.
Statuettes. En plus de casting de Everything, Everywhere, All at Once qui rafle pas moins de sept Oscars avec une distribution majoritairement asiatique-américaine, Ruth E. Carter devient la première femme noire à remporter deux Oscars pour la conception des costumes des deux Black Panther. En février dernier, NPR l’avait rencontrée.
Numérique. En Nouvelle-Calédonie, Atup (association Témoignage d’un passé) propose de découvrir l’histoire et le site du bagne implanté à Nouville, sur la presqu’île de Nouméa jusqu’au début du XXe siècle, à travers une application mobile.
C’est tout pour aujourd’hui. Merci à fred pailler et Elisabeth Kovacs, ainsi qu’à toutes les personnes qui m’ont signalé une information, que je l’aie retenue ou non pour cette infolettre.
La botte de Champollion revient dans deux semaines, avec un numéro spécial consacré à la Suisse.
Sébastien Magro
J'aimerais signaler une erreur dans ce numéro concernant la note sur les capsusles de Xavier Watso. Il n'y a pas 11 peuples autochtones au Canada. Cette information concerne seulement la province du Québec. Il y a plus de 60 peuples autochtones au Canada, dont 11 au Québec.